• Pete Seeger - réflexions sur la musique (3ème partie)

    (dans cette dernière partie, Pete Seeger apporte des réflexions sur la menace qui plane sur la variété culturelle des musiques du monde : celle des grands moyens de communications... Bien vu et nous sommes qu'en 1972 !)   

     

       Nous sommes à la lisière d'une révolution télévisuelle, avec des programmes diffusés par satellites pour pénétrer les spectateurs de chaque village sur terre. Cette perspective, comme une grande partie de la technologie est promesse à la fois d'espoir et d'horreur. Il y a des hommes d'affaires aux Etats-Unis qui préparent un blitz culturel. La coca-colonisation du monde et cela ne prendra pas cinquante ans, comme ce fut le cas naguère pour balayer notre musique cow-boy, mais seulement cinquante semaines pour repousser les musiques nationales de Ceylan, de Costa-Rica, de Madagascar et les efface en l'espace d'une génération. Cela m'amène à la seconde raison pour laquelle je vous écris. Aucune personne qui réfléchit n'a envie que les centaines de musiques nationales du globe soient effacées, oubliées. Comparez la situation avec la biologie. Les biologistes savent que pour une planète saine, nous avons besoin d'un maximum de diversité de vie. Si une espèce d'oiseau ou de poisson s'éteint, le canevas écologique de la vie est déchiré. Mais l'agriculture et l'industrie ont permis à l'humanité de croître en nombre au point que l'équilibre écologique en soit sérieusement ébranlé, et l'on peut douter que nos descendants connaîtront l'air et l'eau purs que nos grands-parents ont connu.

     

     

    Dans les domaines de la culture comme dans ceux de la biologie, il y a une guerre, une lutte constante. D'habitude ce n'est pas la guerre de tonnerre et d'éclairs, mais plutôt la lutte silencieuse, comme entre les racines des arbres dans la forêt, chacun entrant en lice pour avoir sa part d'espace. Mais à l'instar des formes biologiques, celles de la culture ont besoin les unes des autres même en pleine rivalité. L'une des raisons de la richesse de la musique pop et folk des Etats-Unis, c'est que des musiques diverses se sont retrouvées en concurrence côte à côte. Mais ce qui arrive à présent, ce n'est pas cette concurrence. Un flot de musiques importée des Etats-Unis inonde, envahit le monde entier de sa "concurrence". L'homme industrialisé, comme Esaü dans la Bible, vend son patrimoine pour une poignée de cerises. En ce moment même, les jeunes d'Europe occidentale sont en train d'oublier la musique de leurs propres pays. Je reçois des lettres de France, de Hollande, de Tchécoslovaquie : "Cher monsieur Seeger, j'aime votre musique parce qu'elle est si enthousiasmante, si variée." En réponse, je leur demande ce qu'ils pensent de leur propre musique folklorique et souvent ils répondent benoîtement : "mon pays a très peu de musique folklorique, elle n'est pas très intéressante." La vérité est qu'ils savent très peu de choses sur leur musique. Ce qu'ils ont appris à l'école est en général édulcoré, de second rang. Une fois adultes, ils n'ont pas vu cette "musique démodée" comme faisant partie de leur vie d'hommes modernes des grandes villes.

     

     

    Ainsi, une partie du travail des musiciens de tous les coins de la terre aujourd'hui consiste à redécouvrir la richesse, la force et la subtilité de leur propre musique et de la porter à l'attention des masses populaires dans leurs pays. Dans votre pays, vous devriez pouvoir construire votre musique nouvelle sur ce que l'ancienne a de meilleur. Certaines des plus belles chansons de Bob Dylan utilisaient de vieilles mélodies irlandaises. Votre pays devrait engendrer ses propres Bob Dylan. Platon, Confucius et d'autres philosophes attachaient une grande importance à l'art musical. L'Eglise Catholique du Moyen-Âge aussi, qui essayait de réglementer le genre de musique que les gens entendaient. Aujourd'hui, avec la communication moderne, aucune tendance de censure de la musique n'a de chances de réussir. N'essayez pas de bannir la musique américaine : ridiculisez la plus mauvaise, tirez des enseignements de la meilleure. Nous devrons lutter durement pour faire progresser dans chaque pays une musique qui puisse aider les gens à vivre et à survivre, et finalement créer un monde neuf, paisible et coloré comme l'arc en ciel. Merci d'avoir lu jusqu'au bout et meilleurs souhaits.

    Pete Seeger, Beacon, N.Y.? U.S.A.

    Traduction Jacques Vassal

    In Rock & Folk n°63, avril 1972

     

     


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 21 Février 2014 à 12:38

    aucune censure ne pourra lutter contre des souvenirs réveillés . Décidément ce sacré Seeger a été et sera toujours un grand bonhomme

    2
    Vendredi 21 Février 2014 à 20:25

    J'ai été abonnée à la revue "Rock & Folk" pendant des années, on y trouvait vraiment des tas de trucs intéressants...

    Un retour en arrière avec tes articles, pas désagréable du tout !

    Bonne soirée, bisous !

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    3
    Samedi 22 Février 2014 à 08:48

    Eh oui!"Reflexions sur la musique"!!Quelle signification a encore le mot "musique" à l'heure actuelle??Ce mot n'est plus "tendance"..."Rock and Folk",que de souvenirs....

    4
    Samedi 22 Février 2014 à 21:23

    @ Peache

    J'ai été vraiment frappé par la modernité de ce texte qui a pourtant 42 ans ! Je connaissais peu Pete Seeger et ce texte m'a beaucoup appris. A bientôt

     

    @ Melofaroh

    J'ai connu un peu "rock n'folk", les articles étaient en effet très fouillés, l'anti "Podium" en quelque sorte ! Bisous et beau dimanche

     

    @ Jean-Pierre

    Ce qui est terrible, c'est que les craintes de Pete Seeger, celle de l'uniformisation, était parfaitement justifié et j'avoue qu'au niveau de la France, la production musicale est d'une médiocrité assez terrible mais sans doute que les bons musiciens existent, ils ne sont simplement pas médiatisés. .. Bises, passe un bon dimanche

     

    Esclarmonde

     

     

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